Lettre n°9 – Printemps 2022

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Blitzkrieg ou Raspoutitsa ?

Après la débâcle de Kaboul l’Occident a enchaîné avec une vraie guerre.

Cette guerre, pour le moment circonscrite à l’Ukraine, bien qu’asymétrique est sur le point d’être mondiale. Violentissime choc de nationalismes cousins, d’emblée elle s’ouvre sur des crimes de guerre et transfigure des saltimbanques en admirables héros.

Sa folie révèle les vilains et métamorphose le peuple ukrainien. 

Poliment alignés sur le sentier, pays « neutres » ou observateurs assistent aux semailles de la même honte qui assaillit Daladier atterrissant au Bourget en provenance de Munich.

Comme toujours, ab initio, le brouillard de la guerre qui est tombé sur le paletot de l’Occident, interdit d’imaginer une sortie politique.

Le peuple agresseur dans sa majorité soutient son régime et l’agression. Pour lui la Russie continue de mener une guerre juste contre les constantes humiliations subies depuis cinq siècles en provenance d’un Occident voisin, incompris et allogène.

Cette guerre est une vraie guerre, de celles que l’on endure parce qu’elles portent les poisons du passé et la promesse désuète -délicieuse pour les géographes- d’un nouveau dessin des frontières.

Les historiens eux s’enivrent aux fastueux délices du congrès de Vienne, qui régla son compte à la France, ou à la noirceur de Munich qui chercha les limites de l‘espace vital allemand.

Dans la même veine, aujourd’hui les Russes disent à propos de l’Ukraine une sorte de « a noi » aussi ridicule que celui de Mussolini.

En réalité ce qui vient doucement sur le tapis vert c’est la question de savoir jusqu’où va t’on devoir réécrire le centenaire traité de Versailles et ses traités satellites.

Un quart de siècle plus tard à Téhéran puis à Postdam les Américains transmirent à Staline l’idée que l’on peut résumer comme suit : gardez les os et la viande de l’Europe, nous nous satisferons du gras et de quelques bons morceaux de la côtelette.

A nous américains les marchés de consommateurs et le contrôle des empires européens. Nous finirons le travail que nous avons commencé contre les Espagnols.

A vous valeureux combattants de l’Armée Rouge la vieille Europe. Nous vous laissons les terres de vos vieux ennemis les Habsbourg et les chevaliers teutoniques et nous vous abandonnons le bénéfice du « grand jeu » en Asie centrale.

Ensuite, pendant près d’un demi-siècle, les Russes ont pillé l’Europe centrale, colonisé la baltique orientale mis en coupe réglée l’Ukraine, la Biélorussie, le Caucase et les Balkans, intimidé la Finlande et la Suède. Ils ont poursuivi la poussée vers l’Atlantique en colonisant le golfe de Finlande en poussant vers la Méditerranée et l’Océan Indien. A toutes ces conquêtes, s’ajoutaient la poursuite des rêves de Pierre le Grand et de ses successeurs : les détroits, les mers chaudes, l’accès russe à tous les océans. Tout cela effaçait les humiliations de la vente de l’Alaska ou de la bataille de Tsushima.

En parallèle après leur défaite au Vietnam, les Américains tout en imposant un contrôle militaire et politique sur l’Europe ont cherché à minimiser leur exposition à un engagement direct sur le sol européen tout en se protégeant avec le CENTO du flanc sud de l’URSS. Les échecs en Iran et au Moyen Orient accompagnés de la montée en puissance de la Chine ont sonné le glas d’une posture stratégique bien mal menée, particulièrement au cours du dernier quart de siècle.

L’administration Biden, après avoir évacué Kaboul a, de facto, il y a quinze jours couronné cette politique de recentrage ou d’abandon ? en interdisant à des avions militaires polonais de transiter vers l’Ukraine via la base américaine de Ramstein située en Allemagne.

La messe est donc bien dite ; les démocraties européennes sont seules dans l’escalade face à la Russie. Si les Ukrainiens -on peine à l’imaginer- ne trouvent pas un moyen de faire plier militairement la Russie, à court ou moyen terme, un engagement militaire direct des européens dans ce conflit est inévitable.

L’adversaire c’est la très forte et redoutable puissance de l’idiosyncrasie russe.

En dehors de l’appui de son immense territoire elle mobilise deux bras, l’un est politique, l’autre idéologique.

Depuis Ivan IV sans interruption ses institutions politiques reposent sur une autocratie sans concession apte à la conquête, la construction et le combat.

Depuis la fondation de la troisième Rome, l’Église orthodoxe ou le marxisme ont aussi sans interruption entretenu l’originalité de l’âme russe dans une passionnée dimension d’excellence et de victime.

Pour demain donc, le chemin pour la paix sera étroit, compliqué et tortueux.

A court terme il nous faut accepter le principe d’une sérieuse escalade dans le conflit. Les voies d’un règlement politique passent à tout le moins par un sérieux désarmement de la Russie et par la restitution aux Européens de territoires, gagnés sans autre titre que celui de la force, et qui sont utilisés en permanence comme des armes braquées sur nos tempes.

Vaste difficile et douloureux programme !

Pierre BROUSSE

La vie du fonds

PUBLICATIONS

Durant ce trimestre, le FDBDA a publié des analyses sur l’Asie, divers sujets maritimes et de relations internationales. La guerre en Ukraine et le sommet pour les océans à Brest ont particulièrement marqué l’activité éditoriale.

PETITS DJEUNERS

Le FDBDA est heureux d’accueillir Cyrille Bret pour son prochain petit déjeuner débat.

Le prochain petit-déjeuner débat organisé par le FDBDA aura lieu le mardi 19 avril de 8h à 9h30 au Yacht Club de France (41 avenue Foch, Paris 16e).

Cette conférence aura pour thème : « De l’Europe en miettes à l’Europe en blocs – Guerre en Ukraine ». Nous aurons ainsi l’honneur d’accueillir pour cette conférence M. Cyrille Bret.

Présentation du conférencier :

Enarque et normalien, auditeur de l’institut des hautes études de défense nationale (IHEDN). Agrégé de philosophie et docteur, il a enseigné notamment à l’ENS, à l’université de New York, à l’université de Moscou, à Polytechnique et à Sciences-Po. Il dirige le site Eurasia Prospective et collabore régulièrement aux Echos, au Huffington Post, à Telos, à New Eastern Europe en français, en anglais et en russe. Chercheur associé à l’Institut Notre Europe Jacques Delors.

Retrouvez ici plusieurs publications récentes de Cyrille Bret.

Réservez dès maintenant votre place sur le site du FDBDA. 

Pierre Brousse et Emmanuel Véron

Le 29 mars 2022.

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