La guerre en Europe

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Sidération.

Le plus surprenant est que nous, occidentaux, soyons sidérés par la guerre en Europe.

Depuis plus de trente ans, les opinions publiques et la plupart des dirigeants sont restés aveuglés et anesthésiés par la chute du mur de Berlin. Convaincus que l’effondrement de l’URSS a été le triple fruit, d’abord de son incapacité à financer la course aux armements relancée par l’Amérique, ensuite de son échec en Afghanistan, enfin et surtout, de son incapacité à construire dans un régime autocratique une économie efficace et une société dotée d’un élan endogène.

L’Occident a donc bien vécu sur la certitude que le régime soviétique s’était effondré sur lui-même et que son idiosyncrasie impériale s’était diluée dans une kleptocratie post-communiste édifiée par d’ancien serviteurs du régime soviétique. Les mêmes succèdent aux mêmes.

Un paradigme s’est affirmé : l’impérialisme russo-soviétique était le produit de l’autocratie tsariste ou communiste, il n’était pas consubstantiel à l’âme russe.

Au pire, le doute était permis.

Francis Fukuyama en a rajouté. Il a rassuré les intellectuels raisonnables et politiquement responsables. Il nous a convaincus que le modèle démocratique issu des lumières était un « horizon indépassable » qui garantissait le bannissement de la guerre entre les démocraties devenues naturellement dominantes. Tout affrontement entre États devenait irrationnel et inopérant. Le triomphe de la raison ! Cela tandis que les opinions protestataires roses, rouges, vertes ou brunes, parfois xénophobes, confortablement calées au cœur des démocraties libérales plaçaient une paix de renoncement et d’abandon comme bon ennemi du capitalisme de marché « mondialisé ».

Même si ces mouvements ont déclenché une paradoxale aspiration à l’autoritarisme,

le consensus était à l’oubli de la vigilance stratégique, au refus des armes, à l’abandon de la condescendance au profit de la « compréhension » et de l’apaisement.

En Europe centrale, plus particulièrement, les renoncements confortables dans le champ géostratégique l’ont emporté sur l’analyse critique de la vassalité de l’Europe ficelée dans l’OTAN. Certaines consciences se sont accrochées à une pensée d’après-guerre autant par crainte que par souci affiché de bonne gestion des finances publiques. Merveilleux alibis non seulement pour économiser sur les dépenses de Défense mais aussi pour fustiger comme des cigales ceux qui comme la France ou le Royaume Uni s’accrochaient, souvent dans la douleur et sous les lazzi, à l’idée que la liberté doit se défendre.

Mutisme et naïveté ont défini la politique de Défense de la plupart des États européens et de leurs opinions publiques pendant les trente dernières années. La dernière cruauté venant avec l’observation que plus les pays et les peuples renonçaient » plus ils faisaient la leçon à ceux qui aspiraient à rester debout.

Qu’ils se reconnaissent et que les dramatiques circonstances actuelles les incitent à accompagner, en silence, ceux qui aujourd’hui comme naguère, veulent faire preuve de fermeté pour agir.

 Les chiens gras au poil luisant sont toujours prompts à accuser et à mépriser les loups efflanqués qui préfèrent la liberté à une vie confortable. L’Allemagne a bien mené ce type de campagne pendant près de vingt ans.

La restauration de l’agressivité de la Russie n’est pas récente. Elle a poursuivi le rêve impérial des tsars dès le démantèlement de l’URSS. On sait même que Elstine, accroché à l’épaule de Clinton, disait à peu près ceci « je t’en supplie Bill donne-moi l’Europe » ! Sans tenir compte du degré d’alcoolémie de l’intéressé au moment de la saillie, celle-ci est une savoureuse illustration de la permanence de l’impérialisme russe.

L’Histoire se construit toujours sur des tendances lourdes ; géographie et démographie, économie et échanges, identité et culture.

La Russie est souvent plus asiatique qu’européenne et s’est toujours cantonnée à une économie de rente gérée par une société verticale, dotée d’institutions politiques autoritaires par nature et impérialistes par nécessité. Le tout à l’abri d’un particularisme soigneusement cultivé, enveloppé d’un zeste de victimisation.

Alors aujourd’hui nous sommes au grand tournant. Le moment est comparable à la chute de l’URSS.

L’invasion de l’Ukraine à bien des égards rappelle la guerre d’Espagne par l’obsession de la non-intervention des démocraties.

Si nous spéculons sur une révolution de palais ou sur une asphyxie économique pour faire l’impasse sur une intervention militaire, les prochaines cibles sont d’ores et déjà connues : Moldavie, Géorgie, Pays Baltes, Pologne, Finlande.

L’irrédentisme est imaginaire mais il est plein d’imagination.

Les leçons de l’Histoire et les constatations d’aujourd’hui sont implacables.

Malgré les risques, pour gérer convenablement un danger stratégique, l’Union européenne et l’Otan doivent pleinement s’engager militairement aux cotés de l’Ukraine.

Sur le plan moral, celui de nos valeurs, nous ne pouvons plus assister dans la passivité au massacre de populations civiles.

Enfin, pour l’avenir, les démocraties doivent balayer devant leur porte. Pour maintenir une capacité à « tenir », il leur faut faire le véritable effort de solidifier valeurs, institutions, administrations publiques, sociétés civiles, finances publiques et économie.

Cela tombe bien il y a bientôt des élections !

Pierre Brousse

 Le 6 Mars 2022

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