Lettre n° 11 – Automne 2022

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Les grands « basculements » de l’été

Cet été 2022 aura cumulé du passionnel et de l’essentiel, beaucoup d’important et pas mal d’accessoire.

Le Président Macron au fil d’un de ses discours a parlé de basculement de l’Histoire.

Il faut souscrire à cette approche.

En effet, on peut aimer penser qu’après un cycle long d’évolution de l’Histoire, il y a le point d’inflexion. Celui qui emmène les peuples sur un autre versant, dont, le paysage, est différent de celui que l’on vient de quitter et que l’on va essayer d’explorer en utilisant les équations du passé.

C’est bien un long exercice de curiosité, d’imagination et de lucidité qu’il nous faut mettre en avant pour trouver une voie pour l’Action collective future.

Beaucoup d’évènements de ces mois d’été s’inscrivent sur cette nouvelle pente de l’Histoire.

Le temps

En Eurasie nous avons été témoins d’un été torride agrémenté d’orages catastrophiques. En Amérique du Nord il y eut une météo parfois un peu fraîche et anormalement humide. L’hémisphère sud a lui, connu un été austral exceptionnellement chaud, à la suite d’un hiver un peu plus frais que d’habitude.

Étouffées par les canicules et inquiétées par les craintes de froid pour l’hiver, les opinions publiques presqu’unanimes tendent le dos, craignent le réchauffement climatique et s’attendent au pire.

La force des médias et de simples constatations ont, notamment en Europe, presque eu raison des climatosceptiques.

Nous sommes tous à peu près d’accord pour considérer que la surpopulation, la surexploitation de la planète et l’utilisation des combustibles fossiles sont à la racine du réchauffement et du nouvel ordre climatique.

Tout en imaginant l’apocalypse, aucune réponse très articulée de la part des comportements individuels ou des actions collectives n’est, hélas, perceptible.

Dans ces circonstances et sur fond de disette énergétique il a été stupéfiant de voir la plupart des gouvernements et des parlements occidentaux se bousculer pour savoir comment subventionner massivement les consommations d’énergie fossile ; se déterminer sur la poursuite ou la mise en exploitation de mines de charbon ; ou protéger leurs accès au gaz.

Tout cela, sera financé presque toujours à crédit.

Si ces manœuvres peu imaginatives et inconséquentes calmeront les peuples pour un temps, elles mettent surtout en évidence la profonde vacuité des supposés projets politiques des partis qui se déclarent « verts » ou « écologistes ».

Cette triste réalité s’inscrit, en matière de gestion de l’énergie, dans le prolongement d’un demi-siècle d’incurie de la part des gouvernements de la Terre.

L’humanité et les peuples n’ont été ni sages ni raisonnables. Nos enfants vont en payer un triple prix.

  • Celui des dettes utilisées pour payer les générations d’hier qui n’en finissent plus de mourir en ayant passé plus de la moitié de leur vie à la charge de la collectivité.
  • Celui des désordres climatiques de demain qui vont profondément « travailler » la géographie humaine de notre planète.
  • Enfin celui de la remise en cause de l’efficacité des modes de gouvernance de nos sociétés, qu’ils soient coopératifs ou autocratiques.

L’occident démocratique est encore plus cruellement touché. Son âme politique qui présuppose que les peuples sont avisés et que les dirigeants qu’ils se donnent sont compétents et courageux est mise à mal par l’efficacité de premier degré des « démocraties illibérales. C’est un dernier point qui marque le basculement dans sa dimension politique.

A l’intérieur de la société civile, la fracture est béante et de nature culturelle et engendre des réactions sociales douloureuses. A l’intérieur des sociétés développées et démocratiques, le décrochage des peuples dans la compréhension du fil de la vie collective suscite colère ou prostration.

La confiance dans le collectif, les institutions, la raison publique est profondément entamée.

Enfin, les démocraties sont presque toutes confrontées à l’impuissance de leurs États en matière de gestion financière, d’éducation, de sécurité publique, d’infrastructures collectives.

La fuite de leurs élites les désarme pour l’avenir. La restauration d’un consensus autour d’une définition de l’intérêt public et de ses instruments est urgente pour entrer convenablement dans une nouvelle ère.

Notre grand continent

C’est bel et bien un choix de civilisation qui surgit. 

La parenthèse occidentale débutée en 1521 avec Magellan est en train de se refermer progressivement au bénéfice de la Chine. Si la majorité de l’humanité ne reconnaît pas l’agression russe en Ukraine, c’est la ruse de l’histoire qui permet à Pékin de vassaliser la Russie et de « réorganiser » l ’Asie centrale jusqu’au Caucase.

On efface la défaite de l’empire Tang à Talas de 751.

Dans le but d’augmenter le nombre de tributaires de Pékin, l’OCS souffle le chaud et le froid sur la Turquie, l’Iran, le Pakistan et l’Inde. La Chine promet une éternelle amitié à Moscou, « dégoupille » les irrédentismes d’Asie centrale et enfin, suivant une méthode millénaire, comme à Ceylan, « arrose » généreusement tous les puissants pour les inciter à réaliser de grandioses investissements qui feront le bonheur de leurs peuples.

Après l’élégant et cruel imbroglio du sommet de Samarcande, le reste de la communauté internationale réuni à l’ONU, en assemblée générale, a observé le fracas des guerres et règle prudemment ses comptes avec l’occident.

Le rêve de Magellan est mort.

Les énormes erreurs d’appréciation de la Russie, ses menaces nucléaires, ses postures agressives ont simultanément fait de l’OTAN – qui n’osait plus y penser – le grand bénéficiaire stratégique de la guerre en Ukraine, et, malgré tout, l’UE qui grâce à une surprenante cohésion est sortie un petit peu de sa vassalité avec les Etats-Unis.

Presqu’unanimement les Européens s’affichent sur la ligne de défense des valeurs démocratiques qu’ils ont jadis inventé. Ils ont signé l’arrêt de mort d’une Ostpolitik avide et naïve. Le renforcement de leur cohésion externe est malheureusement contrebalancé à l’intérieur par la crise identitaire d’une forte partie de son opinion. C’est la mère des victoires électorales d’une extrême droite en général eurosceptique souvent encline à trouver des justifications à l’ennemi Russe.

Paradoxalement les victoires électorales de droites radicales, hier en Suède, demain en Italie, sont encouragées par des gauches laminées, hésitantes à rejoindre un extrémisme xénophobe populaire au sein de leur ancienne clientèle électorale.

Néanmoins, pour le moment la poussée de l’extrême droite ne met pas encore en cause les constructions institutionnelles européennes.

Enfin, comme un symbole, la fin du plus grand règne de l’histoire d’un Royaume Uni à nouveau isolé s’est conclue à l’avant-veille de l’Automne, saluant à sa façon et de manière palpable ce basculement d’un monde vers un autre,

Un avenir fracturé

Décidément le monde nouveau sera bien difficile à gouverner, la globalisation est démonétisée, la démocratie aussi. Jamais l’homme n’a vécu dans un monde aussi sophistiqué, et pourtant jamais la multitude n’a eu aussi peu confiance dans son avenir et son destin ; l’homme redevient-il un vrai loup pour l’homme ?

Sur ce nouveau versant de l’Histoire et comme première leçon de cet été de bouleversements, il nous faut : le goût pour la nouveauté, une imagination libérée, l’opiniâtreté du vieux John Smith face à l’effort, le sens de la frugalité face au consumérisme et, beaucoup, beaucoup de lucidité face à la géopolitique.

Paris Le 21 septembre 2022

Pierre BROUSSE

La vie du Fonds

Publications

Durant ce trimestre, le FDBDA a essentiellement publié des analyses sur l’Asie et divers sujets de relations internationales. Le contexte de la guerre en Ukraine a encore marqué l’activité éditoriale.

Macron et l’Ukraine : la fin d’un procès en « russophilie » ?

Le droit comme arme de guerre : quelques distinctions entre les concepts américain (lawfare) et chinois (guerre du droit)

Les racines du ciel : un Goncourt 1956 aux accents écologiques

Chine et USA : Taïwan au cœur de la rivalité – 28 Minutes – ARTE

Un débat pour ou contre la République

Lectures estivales 1/2

De l’armée, du nationalisme et de la guerre

Lectures estivales 2/2

Taïwan : la stratégie indo-pacifique des États-Unis à l’épreuve

Le rapprochement irano-russe dans le contexte de la guerre d’Ukraine

Carte de l’Organisation de Coopération de Shanghai

Sommet de l’OCS en Ouzbékistan: un rendez-vous pour contrer l’influence occidentale

OCS*, un sommet contre l’Occident pour un monde multipolaire ?

Quand la Chine organise un nouvel espace de vassalité

Une attaque nucléaire russe est-elle une perspective crédible ?

Surcouf. La fin du monde corsaire – Note de lecture

 

Activités de soutien, prix FDBDA 2022 et philanthropie

Le FDBDA a signé une convention avec Enseignants sans frontières, présidé par Monsieur le Député Frédéric Petit, en partenariat avec l’Alliance française, et ce, afin de soutenir les efforts d’enseignements du français pour des enfants ukrainiens réfugiés dans des pays limitrophes de l’Ukraine en Guerre. Les travaux se poursuivent afin de soutenir des démarches d’enseignement du français auprès de jeunes ukrainiens réfugiés.

Dans le courant de l’automne, le FDBDA aura l’honneur d’annoncer les lauréats 2022 suite aux travaux de la commission des prix et de nos partenaires de l’Académie de marine et de la Société des explorateurs français.

A l’occasion de la cérémonie de remise des prix, nous poursuivrons l’activité de philanthropie auprès de Marins Sans Frontières.

Pierre Brousse et Emmanuel Véron

Le 26 septembre 2022.

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