Recension – Marcher à Kerguelen

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Par Marc-René Bayle

Marcher à Kerguelen de François Garde, Gallimard, 2020. Prix commun FDBDA-Société des explorateurs français (2020).

Focus sur Kerguelen, province insulaire française singulière, découverte en 1772 par le chevalier Yves Joseph de Kerguelen, sise à 3 000 kilomètres au sud de La Réunion, aux cinquantièmes hurlants, et grande comme la Corse.

François Garde, ancien administrateur supérieur des Terres australes et antarctiques françaises (TAAF), dont Kerguelen est l’un des cinq districts, a réalisé avec trois amis, à pied en autonomie totale, la traversée intégrale de Kerguelen, du nord au sud puis à l’est, en s’approchant au plus près du sommet culminant, le Mont Ross (1 850 m). Une aventure unique, tant sont rares les expéditions menées sur cette île déserte du sud de l’océan Indien aux confins des quarantièmes rugissants, l’une des plus inaccessibles du globe. Dans son ouvrage, Marcher à Kerguelen, il livre sa vision d’un territoire de démesure et d’une expérience humaine insolite.

François Garde rend compte de cette île, difficile d’accès, « sans mémoire, sans tradition orale, sans influence humaine, seulement des labyrinthes, un sol traître au pied et du vent, encore du vent, toujours du vent, l’élément le plus important est le vent. ».

Tous ceux qui, depuis le chevalier de Kerguelen, ont cru pouvoir faire fortune dans l’île furent renvoyés à leurs rêves. Elle les a ignorés superbement. Jean-Paul Kauffmann, visiteur de l’endroit, voici un quart de siècle, écrivait déjà : « Telles sont les Kerguelen, personne ne vous y attend et quand vous partez, vous n’y laissez aucune trace. » (L’arche des Kerguelen : voyage aux îles de la désolation, Flammarion 1992).

Surnommée « île de la désolation », pour sa nature hostile, ses vents violents, ses températures glaciales (avec une température moyenne de -5°C), et son manque presque absolu de végétation, dépourvue de sentiers, de balisages, de pylônes ou de clôtures, Kerguelen n’abrite que des expéditions scientifiques, installées principalement sur la base de Port-aux-Français. Autour des années 1900, les tentatives d’installations durables, imaginées par des Français, mais aussi bien par des Anglais, des Allemands, des Norvégiens, furent vite vouées à l’échec.


Dans son expédition, François Garde s’est habitué à marcher très souvent sous la pluie battante, ou alors à monter la tente malgré de très violentes rafales. Voici sa devise : « Il faut savoir rendre les armes, cesser de lutter. Ne plus refuser l’évidence du climat. Apprendre à vivre humide. Devenir grenouille. ». Il met en exergue la relativité de son expédition, subjugué par les dimensions des paysages, et le sentiment de sa petitesse face à Kerguelen, rendant hommage à sa : « puissante réalité dont il se sent le vassal (…), étrangère aux ambitions des hommes, une vraie page blanche, sur laquelle nul ne peut se prévaloir d’aucune légitimité ».

Son œuvre, qui est tout sauf le récit d’une aventure sportive, trouvant son bonheur « dans la marche, non dans la démarche », révèle aussi la force de l’esprit de solidarité de ses compagnons de marche, au point de se souvenir de la Genèse (« Suis-je le gardien de mon frère ? »).

Il reste subjugué par la beauté rugueuse, hostile de l’île, sa « puissance souveraine de l’eau, le lac, la brume, tout se mêle, tout se confond ; déborde dans une fantaisie baroque ».

François Garde décrit avec pudeur et sensibilité, dans une écriture limpide, cette aventure intérieure, cette quête mystérieuse d’un ailleurs, d’un bout du monde dans lequel l’humain n’a pas sa place.

Il conclut magnifiquement son œuvre sur Kerguelen où « L’homme n’y est pas chez lui. L’éternel notaire de ce patrimoine, le seul qui vaille à mes yeux, est le vol de l’albatros ».

Prix Thomas Allix – Société des Explorateurs Français et FDBDA à François GARDE pour son ouvrage Marcher à Kerguelen

Cette recension a été initialement publiée dans la Revue des Provinces, n°40 en 2021.

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