Porquerolles, entre vocation militaire et patrimoine

Marc-Rene Bayle

Par Marc-René Bayle

L’estivalier, le plaisancier connaissent à coup sûr l’île de Porquerolles, mais son histoire reste mal connue. Cette île, rattachée à la commune d’Hyères, dans le Var, est la plus grande et la plus occidentale de l’archipel des îles d’Hyères, composé également de Port-Cros et du Levant. Avec ses 12,54 km2 de superficie, située à 2,6 km au sud-est du continent (l’extrémité sud de la presqu’île de Giens), Porquerolles forme un arc orienté est-ouest, aux bords découpés, de 7,5 km de long sur 3 km de large. Son pourtour est d’une trentaine de kilomètres.

Sur la longue période, son histoire est dense et contrastée : île de colonisation dans l’Antiquité, devenue aux temps modernes un pion dans l’échiquier stratégique naval, puis une plateforme de valorisation agricole, et plus récemment une vitrine du patrimoine culturel et environnemental.

Le temps des Stoechades

Dans l’Antiquité, les îles d’Hyères étaient appelées « Stoechades » (du grec ancien στοιχος qui signifie « aligné »). Pline (Histoire naturelle, III, 79) et Strabon (Géographie, IV, 1, 10) les ont mentionnées. Elles s’insèrent dans le récit mythologique des Argonautes qui auraient fait escale dans ces îles.

Les travaux de recherche associant archéologues et chercheurs en science de l’environnement, menés dans les années 1980 ont permis de reconstituer, non sans difficulté, le passé de Porquerolles et des autres îles d’Hyères, à partir des vestiges qui jonchent le sol. L’homme s’y serait installé à partir du Chalcolithique (l’âge du cuivre, vers 3000 av. J.-C.). Mais la trace la plus sensible se situerait vers 600 av. J.-C., correspondant à la fondation de Massalia (Marseille), colonie créée par les Grecs venus de Phocée. Les îles servaient d’abri pour leurs navires. Et parfois provoquaient des naufrages. Des navires s’ y échouèrent , chargés de vins, de vaisselles, de vases grecs. La pêche aux abords des îles était pratiquée. Les fouilles ont révélé la présence d’un premier village vers la fin du IIe siècle av. J.-C., avec des habitants vivant de la pêche et de l’agriculture. Au 1er siècle av. J.-C, le village de Porquerolles s’était agrandi, pour s’étendre au 1er siècle de notre ère. Les chercheurs émettent l’hypothèse de la présence d’une base navale romaine (J.-P. Brun).

Dans l’Antiquité tardive, les îles furent désertées du fait des attaques des pirates et des bandes barbares. Porquerolles se dépeupla. Les textes, notamment ceux de saint Cassien, le fondateur du monastère de Saint-Victor à Marseille, ont révélé la présence de quatre moines vivant en ermites au début du Ve siècle de notre ère. Un habitat fortifié à la pointe des Mèdes pourrait avoir été celui d’une implantation monastique.

Une vocation militaire engagée dès le Moyen Âge

Battue par une mer porteuse de menaces sarrasines, l’île se mura dans le silence, de la fin de l’Antiquité tardive jusqu’au XIe siècle. Vers les années 980, le comte Guillaume de Provence attribua à Pons de Fos la bande côtière allant de La Garde à Bormes. Des archives du XIIe siècle montrent que des moines cisterciens, issus de l’abbaye varoise du Thoronet, s’installèrent sur l’une des iles d’Hyères vers 1150, par le jeu d’une cession à la famille Fos.

Peu de temps après, vers 1160, le monastère aurait été détruit par des pirates musulmans et ses moines emmenés en captivité. En 1169, des chanoines réguliers selon la règle de saint Augustin rétablirent le monastère. Mais les îles furent revendiquées par les Cisterciens. Le pape Innocent III réattribua les îles à l’abbaye du Thoronet. Mais les historiens hésitent pour savoir qui des Cisterciens ou des Chanoines occupèrent réellement le monastère. Quoi qu’il en soit, les îles d’Hyères tombèrent en 1245 dans le patrimoine comtal de Provence, dévolu à Charles d’Anjou, le frère de Saint Louis, qui devint par la suite roi de Naples et de Sicile. Les îles devinrent le siège de petites seigneuries. Son fils Charles II, comte de Provence, ordonna en 1304 la cession en fief de Porquerolles à Pierre Mège en récompense de ses services militaires. Dans l’automne du Moyen Âge, les îles furent la proie des attaques des Sarrasins et des pirates (tel le corsaire génois Spinelli qui ravagea la côte hyéroise pendant une vingtaine d’années). En 1471, le roi René d’Anjou, comte de Provence, inféoda l’île à Palamèdes de Forbin, seigneur de Solliès, issu d’une maison provençale illustre, peu d’années avant l’incorporation du comté de Provence au royaume de France. Mais, au total, les comtes ne s‘attachèrent pas à la défense des îles.

Une île exposée aux aléas géopolitiques de l’époque moderne

L’archipel des îles d’Hyères exposé aux menées des pirates des Maures, des Turcs, de l’empire autrichien et des menaces espagnoles et anglaises fut « une sorte de pion dans l’échiquier stratégique naval » (Rigaud). Car ces îles constituaient des abris sûrs, dans les cas de vents contraires, une étape obligée pour prendre du repos, s’approvisionner en eau, en bois. Placées sur les routes maritimes, elles offraient des côtes très découpées, permettant des opportunités tactiques.

En 1503, ces îles furent accostées par des corsaires d’Afrique du Nord. En 1508, une flotte ottomane fit route sur les mers de Nice, après avoir séjourné dans les îles d’Hyères. Pour faire face aux pillages des Barbaresques, François 1er consolida les fortifications, et créa en 1531 le « marquisat des îles d’Or » dont le premier titulaire fut Bertrand d’Ornezan. En visite à Hyères en 1531, François 1er fut sensible aux doléances de la population en proie aux exactions des Maures et des armées de son ennemi Charles Quint. Il fit renforcer les défenses du château de Porquerolles. En 1530-1536, le corsaire ottoman Barberousse, qui inspirait la terreur aux populations côtières, même s’il était l’allié du roi de France, hiberna aux îles d’Hyères. En 1536, la flotte de l’Empire autrichien, qui nourrissait des prétentions sur la Provence, occupa l’archipel. L’Empereur Charles Quint avait d’ailleurs débaptisé les îles d’Hyères en « îles d’Autriche ». En 1579, le roi Henri III racheta Porquerolles au comte de Carcès et s’engagea à maintenir la garnison de Porquerolles. En 1581, Alphonse d’Ornano fut chargé du fort de Porquerolles et l’île fut attribuée à son descendant. François d’Ornano en 1637. Au décès de François d’Ornano, sa veuve vendit l’île qui fut érigée en marquisat au profit de François Molé, ancien évêque de Bayeux, conseiller et maître des requêtes au parlement de Paris sous Louis XIV.

L’effort royal fut poursuivi sous Louis XIII qui entreprit de fortifier les îles, avec le plan de la forteresse Sainte-Agathe et deux pièces d’artillerie. En 1637, les îles d’Hyères furent le point de départ de la flotte française pour la reconquête des îles de Lérins occupées par l’Espagne. De même, en 1684, les îles servirent de base d’appui pour le combat de Gênes mené par la flotte commandée par le marquis de Seignelay.

La rade d’Hyères fut aux XVIIIe siècle le théâtre de la rivalité franco-anglaise. Le 17 juillet 1707, dans le cadre de la Guerre de Succession d’Espagne (1701-1714), la flotte anglo-néerlandaise, sous les ordres de l’amiral Schowel, prit possession de Porquerolles, avant de s’emparer d’Hyères et d’assiéger Toulon.

Pendant la guerre de Succession d‘Autriche (1741-1748), lors du conflit entre l’Angleterre et l’Espagne, l’escadre de l’amiral Mathew au mouillage dans la rade d’Hyères demanda en 1742 la mise en place d’un hôpital dans l’île voisine de Port-Cros, pour les malades de sa flotte, ce qui lui fut refusé par le commandant de la Provence, le marquis de Mirepoix. Ce dernier fit hâter le renforcement de la garnison des îles.

En 1793, après la reprise de Toulon aux mains des Anglais par les troupes révolutionnaires, l’escadre anglo-espagnole se réfugia dans les îles d’Hyères, qui furent mises à sac. Ces évènements amenèrent en 1794 la commission de défense des côtes, animée par le capitaine Bonaparte, à inspecter les îles et à décider de nouveaux travaux de défense (forteresse centrale, batteries côtières notamment celle du fort Sainte-Agathe).

A suivre


Cet article a été initialement publié dans la Revue des Provinces, n°44 en 2021.

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