Il est revenu dans cette triste petite rue ou le Dix communique avec le Onze, et où le jardin est bien mieux que la façade.
Pour cela, Il a quitté ces Caraïbes dans lesquelles il a pu se reposer, au frais d’amis, après la campagne électorale qu’il a gagnée plus que brillamment.
Il a eu ensuite quelques jours pour savoir comment annoncer et surtout gérer la grossesse de la jeune concubine, le divorce, la colère des grands enfants, l’animosité du frère et de la sœur, et surtout l’impossibilité de contrôler un père qui se veut français !
Puis, cette foutue maladie qui a failli avoir sa peau ; son sauvetage par Luis le continental, le portugais d’Oporto (on a échappé à l’Algarve, Luanda ou Macao).
Enfin, il est là avec son charisme, son caractère d’acier et son excentricité chic qui cache ses incertitudes, son angoisse de vieux jeune père et ses mensonges d’intellectuel raffiné.
Durant les trois semaines de sa dernière absence on a vu se succéder au pupitre de sa résidence, de typiques Tories viscéralement anti-continentaux et des technos d’origine Commonwealth tout aussi idéologues, mais aussi malins qu’adroits.
Cependant, un seul être vous manque et tout est dépeuplé. La puissance du Boris, sa verve de la gentry manquait et nous a manqué.
Un gouvernement sans style c’est un conseil des ministres de Vichy présidé par Darlan ; pas grand-chose.
A Downing street, c’est pareil, même s’il peut arriver à Dominique Cumming d’être propre sur lui.
La seule consigne que Boris a donnée et a répétée du fond de son lit, avec en écho ce même foutu Cummings lui aussi confiné : BREXIT, NO F***ING EXTENSION.
Tout à la joie d’avoir survécu à la maladie et de n’avoir pas conçu un orphelin, il ne s’intéresse pas aux solennelles mises en gardes des représentants de l’industrie publiées dans le Financial Times du 29 Avril. Ces défaitistes qui se préoccupent d’un futur désalignement normatif vis-à-vis du marché unique européen. F***ING Business !
Tout cela est décidément bien compliqué pour son nouvel électorat des Midlands.
Sa conviction est que le pays veut régler ce feuilleton interminable le plus vite possible quoi qu’il en coûte. Il comprend bien ce sentiment ultra-dominant dans l’opinion. Peu importe que le futur ne soit pas clair, il faut faire confiance au génie britannique.
Donc, il nous faut croire Dominique Raab Premier Ministre par intérim quand il dit :
“Our position is unchanged. The transition period ends on the 31st of December, that is enshrined in law”.
“There is no intention of changing that and actually what we should do now … is focus on removing any additional uncertainty, doing a deal by the end of the year and allowing both the UK and the European Union and all of its member states to bounce back as we come through the coronavirus.”
De l’autre côté de la mer du Nord, la position est bien plus rationnelle. Mme Van der Leyen et M. Barnier, avec leurs mines de cockers, s’époumonent en disant : on n’aura jamais le temps, surtout si «nosamisbritanniques – s’écrit en un seul mot et se prononce rapidement- ralentissent ou bloquent le processus en n’envoyant pas les papiers.
Mais tout cela n’est qu’un théâtre d’ombres ; Bruxelles – comme Londres d’ailleurs – sait bien qu’il est impossible de bâtir un accord commercial bilatéral, correct dans son périmètre, sans y passer plusieurs années.
Aujourd’hui la vérité est bien que le sujet est ailleurs.
Les petits comptables d’hier se préoccupaient du sort des actifs européens en Grande Bretagne, des éventuelles ruptures des chaînes logistiques, des subventions agricoles, des importations de prosecco et de vin de bordeaux, des savoir-faire de la City, etc… La dette du royaume vis-à-vis de l’UE était aussi un grand sujet ; puis on s’est mis d’accord sur une quarantaine de milliards d’euros à payer à tempérament.
Aujourd’hui à l’échelle post covid-19, l’argent, cet argent, est une paille.
La réingénierie des productions industrielles est devenue un sujet presqu’anecdotique du fait de l’effondrement de la demande globale et du rétrécissement du petit marché intérieur britannique.
Après avoir laissé dire « dehors les polonais » le gouvernement de sa Majesté affrète des avions pour importer de Roumanie la main d’ouvre indispensable à la cueillette agricole.
C’est le pragmatisme britannique, il n’appelle pas la moindre interprétation. Dans les îles, cela n’est même pas vu comme une exception à des principes.
La quarantaine de milliards de dette vis à vie de l’UE, le sort des ressortissant expatriés dans le Royaume Uni, même un risque terroriste réel en Irlande, tout devient négligeable.
Le premier à faire un « blink » des yeux aura perdu. Du point de vue britannique c’est la spécialité de l’UE.
Donc, l’Europe va canner et continuer dans la négociation de sortie à donner ce qu’on lui demande.
Ce fantasme, inspiré par les interminables nuits de négociation entre États membres, n’a évidemment rien à voir avec les accords que l’Union Européenne passerait avec le pays tiers qu’est devenu le Royaume Uni.
Mais, à ceci, plus sérieusement, s’ajoute unes parole publique nationaliste qui veut que la souveraineté retrouvée du Royaume serait bafouée par l’UE qui ne leur offrirait pas le même type d’accord que ceux déjà conclu par l’UE avec des pays tiers du type Norvège, Côte d’Ivoire,Togo…!
C’est à l’enfantillage ajouter le ridicule d’un argument non séquitur .
Bien que la souveraineté de l’UE n’ait probablement pas la même essence divine que celle du Royaume Uni, elle est néanmoins aussi entière. L’UE ne conclura donc un accord avec le Royaume Uni que si elle y trouve son intérêt (celui des vingt-sept).
Sans cohérence tactique, le Royaume a du mal à se focaliser sur la façon d’honorer sa signature vis à vis des engagements qu’il a pris dans l’accord de retrait ;
particulièrement sur l’Ulster. Il lui faut restaurer la confiance perdue par trois années d’indécision, de chantages et de volte-face.
De facto, il faudra un règlement le 30 Juin 2020, non pas le 31 décembre.
Sur les lignes actuelles il n’y a aucune chance d’avoir un « deal » de séparation consensuel et harmonieux.
Tant mieux, le rideau tombera enfin sur cette mauvaise pièce. Nous pourrons évacuer de notre agenda un sujet chronophage devenu de peu d’intérêt.
La pandémie aura réduit jusqu’à la caricature la taille de l’enjeu Brexit et ramené le Royaume uni à son poids politique du début des années soixante-dix ; sic transit.
*
* *
De l’autre côté de notre continent, au même moment, il y a un malade, un très bon élève et deux vieux géants désorientés.
Le malade, Kim, qui contrairement à Boris est un véritable obèse ; IMC 45 !
Il est, dit-on, moins alcoolique que son père et plus intelligent que lui.
Il serait moins vaillant que son grand père mais pour le représentant d’une troisième génération qui en général dilapide le magasin, il ne s’en sort pas mal.
On suit à la trace son train blindé, ses bateaux de plaisance, Trump sait tout mais ne dit rien, les services secrets sud-coréens manient la langue de bois. Nous, grands publics ignorants d’une éventuelle révolution de palais, sommes réduits à comparer les mérites photographiques des sœurs, des demi-frères, des oncles cacochymes etc….
Ça y est ! depuis cette nuit il y a des photos de lui, vivant, le premier mai. Ce n’est pas le coronavirus, il n’y en a pas au paradis socialiste ; nouvelles conjectures.
Le bon élève, Séoul, coiffé des lauriers de celui qui a terrassé le coronavirus cultive dans un calme oriental, toujours les mêmes vieilles lunes.
- On déteste l’idée trop coûteuse d’une réunification à l’allemande, vingt-cinq millions de va nu-pieds acculturés à ramener à un niveau de vie et de sociabilité décent. Sans être radin, ressembler au dispendieux chancelier Kohl cela fait frémir les comptables. Beaucoup aimeraient éloigner ce calice et rester heureux comme ils sont.
- Néanmoins, d’autres se disent, en y regardant de plus près, après des siècles d’humiliation de la part des japonais et des chinois, qu’un ensemble de 75 millions d’habitants, puissance nucléaire et balistique réelle, capable d’être tout de suite stratégiquement souveraine, ce ne serait pas mal.
Ce choix, c’est au fond le legs des trois premiers KIM à toute la Corée.
Une histoire de leviers d’Archimède qui propulse un tout petit pays, ruiné par une coterie dictatoriale, cliente fidèle de la Chine communiste, dans une inimaginable situation de force.
Il suffirait que le triomphe de Séoul sur le covid-19 transcende la confiance des coréens du sud en eux-mêmes, et aussi un peu celle de leurs frères du nord, pour qu’à la faveur d’un processus de succession vaseux les deux Corées s’affirment d’un seul coup comme une seule puissance significative, non seulement à l’échelon local mais aussi global.
Le jeu de la Chine vis-à-vis de la péninsule rend délicat une opposition frontale de sa part à un processus d’unification. Son intérêt est bien d’interposer un joueur entre elle et le Japon ; c’est du Go élémentaire.
Le poids de l’histoire, surtout la confiance qu’elle a dans son contrôle sur l’industrie militaire, nucléaire et balistique de la Corée du Nord devrait la dissuader non seulement de prendre le risque de perdre un bénéfice réel contre l’aléa d’une perte. D’autant que la vassalisation d’une grande Corée serait à portée.
La Chine devrait donc rationnellement jouer l’embuscade, soutenir jusqu’au boutson makoui – en suède on dirait troll – la famille Kim ; et, toute honte bue, laisser faire pour se « refaire ».
Les deux géants qui ont directement à perdre à cette réunification, la Russie et le Japon, au lieu de semer sels et poisons sur les nombreuses blessures qui couvrent la région préfèrent se chicaner à propos de quelques jolies petites iles Kouriles sans importance stratégique ni économique.
Cette neutralisation mutuelle jouera en faveur du processus.
Seuls les USA pourraient avoir, aux côtés du Japon, un rôle actif dans la réunification, pour s’y opposer comme pour la favoriser.
Les divergences de vues entre le Président et son secrétaire d’Etat, le dédain porté à l’ONU et au multilatéralisme brideraient très fort la construction d’une stratégie et d’une tactique de négociation. De plus, dans l’immédiat, la campagne électorale rend impraticable une pression ou un engagement militaire. On peut en déduire rationnellement que l’Amérique ne pourrait pas se montrer sur le devant de la scène dans l’hypothèse d’un rapprochement du Sud et du Nord.
C’est dans ce trou de souris géostratégique que le peuple coréen pourrait trouver la voie d’une réunification.
*
* *
Aux deux extrémités du continent Eurasiatiques des parties importantes se jouent.
Ici, de notre côté, la plus vieille démocratie du monde moderne paiera probablement cher sa foi dans ses rêves victoriens de jadis.
Tandis que de vieux pays, et de vieux peuples de l’autre côté de l’Eurasie, peuvent être capables d’effacer quelques scories du vingtième siècle.
Il est beaucoup trop tôt pour dessiner un arbre des causes. Mais, il semble bien que le covid-19 soit un protagoniste significatif supplémentaire de ce spectacle que l’on reliera mentalement au Théâtre No, si incompréhensible pour nous occidentaux.
A la fin, dans les deux cas, plutôt pour le bien, ce sont majoritairement des démocraties qui sont à la manœuvre.
Les résultats dépendront de leur détermination et de leur aptitude à « armer la sagesse ».
Dans ce monde qui hésite ne baissons pas les bras.
Pierre Brousse
Paris, le 1er mai 2020