Sale temps pour l’Universalisme de la démocratie libérale.

Jean-François CERVEL

L’actualité de ces dernières semaines est pleine d’images de guerre. Au-delà des objectifs militaires des théâtres d’opérations des différents conflits engagés, en Ukraine comme au Proche-Orient, les villes mêmes et leurs populations civiles sont bombardées. De nombreuses capitales se trouvent sous le feu des missiles ou des canons, de Khartoum à Beyrouth, de Kiev à Moscou, de Téhéran à Tel-Aviv et à Jérusalem. On se sent incrédule face à de telles séquences. Comment une telle situation est-elle possible ? Quelles sont les raisons qui peuvent amener à de tels degrés de violences volontaires qui paraissent défier le sens commun ? Comment des individus sensés peuvent-ils, sciemment, engager de tels processus de destruction avec le cortège de souffrances qui les accompagne ?

Par-delà les spécificités propres à chacun des conflits considérés, on trouve, à l’origine de tous les affrontements en cours, des identitarismes extrémistes, affichant souvent une dimension religieuse ou idéologique forte, assurés par des régimes politiques autoritaires sinon totalitaires, incarnés par des individus sectaires et agressifs, sûrs de leurs moyens militaires. Tous trouvent des arguments pour justifier leurs violences dans la présence d’autres puissances présentées comme ennemies voulant les affaiblir ou les détruire. Les extrémismes s’alimentent ainsi les uns les autres et justifient leurs exactions par celles commises par les autres. Tous disent tout le mépris qu’ils ont pour la liberté et pour la démocratie, l’identité étant présentée comme la valeur suprême. Tous n’ont aucune hésitation à engager la force et à poursuivre les guerres quelles que soient les souffrances et les destructions. C’est d’autant plus vrai pour les plus puissants qui peuvent faire ce qu’ils veulent quand ils ne sont pas affrontés à aussi puissant qu’eux. Là où est un dictateur là réside un permanent risque de guerre.

Ainsi en est-il de la guerre engagée par le régime poutinien russe contre l’Ukraine. Sous prétexte d’une menace « occidentale » contre la sécurité de la Russie et d’une défense de la « civilisation » russe orthodoxe, le dictateur au pouvoir depuis 26 ans, n’a pas hésité à engager et à faire durer une guerre ravageuse pour mettre sous sa domination son voisin ukrainien. Il ne s’arrêtera qu’en ayant obtenu ce qu’il souhaite c’est-à-dire la réintégration de l’Ukraine, de la Moldavie et des Pays Baltes, comme déjà la Biélorussie, dans ce qu’il considère comme sa zone de domination.

Ainsi en est-il de la guerre engagée par le régime islamiste iranien contre Israël en particulier et contre l’occident plus globalement. Le régime dictatorial des ayatollahs affiche son identitarisme chiite et son objectif de destruction de l’Etat israélien comme de l’ensemble du système de démocratie libérale. Il utilise une multiplicité de réseaux pour assurer sa domination sur les pays voisins et pour attaquer Israël. Il espère se doter d’une assurance tout risque, du type de celle que possède la Corée du Nord, en développant sa maitrise nucléaire militaire.

Ainsi en est-il de la guerre engagée par les groupes islamistes sunnites, d’Al-Quaida à l’Etat islamique, et de toute la mouvance des Frères musulmans, qui rêvent de reconstruire le Califat par-delà les frontières des pays du Proche-Orient et de reconstituer ainsi le grand empire musulman, de détruire Israël et de vaincre les mécréants occidentaux et leur idéologie libérale.

Ainsi en est-il de la guerre engagée par les régimes indiens et pakistanais l’un contre l’autre. Par-delà la revendication territoriale sur le Cachemire, il s’agit d’un affrontement identitaire culturalo-religieux de deux régimes qui nient toute liberté individuelle de choix et tout pluralisme au profit d’un nationalisme exacerbé et agressif.

Et on constate que ce « modèle » de l’idéologie totalitaire identitaire tend à se répandre à travers le monde, à la tête de nombre de pays.

Ainsi les gouvernants actuels d’Israël refusent de prendre en considération la situation des populations palestiniennes, pendante depuis près de 80 ans, et développent un discours nationaliste identitaire et religieux au service du projet de « Grand Israël ».  La création ex nihilo d’un nouvel Etat, Israël, s’est faite par la force en 1948. Et la guerre que cette conquête a générée dure depuis quelque 80 ans et déstabilise tout le Moyen-Orient. Le refus de traiter la situation dramatique des populations palestiniennes chassées de leur terre empêche une stabilisation de la région, perpétue la logique de guerre et amène Israël, confronté à l’extrémisme islamiste qui exploite cette situation, à évoluer d’un système d’Etat laïc, multi-ethnique, multi-culturel, multi-confessionnel, à une logique d’Etat identitariste religieux.

Ainsi, tous ces paysagressifs sont dirigés par des régimes nationalistes identitaires qui nient l’existence de l’autre ou veulent le détruire ou l’asservir comme tant de fois au long de l’histoire. Et on voit revenir au galop le discours religieux qui accompagne souvent ces affirmations nationalistes. L’extrémisme millénariste juif affronte l’extrémisme millénariste islamiste. Le dictateur russe se place sous la haute bénédiction du patriarche de Moscou pour conduire sa « guerre sainte » et un président des Etats-Unis d’Amérique remercie publiquement Dieu pour la réussite de ses bombardements sur l’Iran !

Sous la présidence de Donald Trump, les Etats-Unis d’Amérique semblent vouloir désormais se situer dans ce camp de l’égoïsme national exacerbé flirtant avec le racisme et la haine fanatique de l’autre. Le pays du « melting-pot », né des flux migratoires, s’affiche ainsi désormais comme celui de la « pureté de la race américaine » !

 Et tous se retrouvent pour essayer d’abattre le système de la liberté et de la démocratie au profit du système de l’identité et de la dictature.

Dans ce contexte et sous prétexte de ne pas interférer dans les affaires internes d’un pays, beaucoup de responsables reprennent le discours traditionnel dit « réaliste » qui consiste à ne se préoccuper que des Etats et non des régimes qui les dirigent. C’est évidemment le discours que cultivent tous les régimes totalitaires qui ne peuvent admettre que des puissances extérieures viennent interférer dans leur politique interne et que des interventions externes puissent pousser à des changements de gouvernements ou remettre en question les politiques qu’ils conduisent. Il n’est pas question de s’occuper, pour ce qui concerne la Chine, des Tibétains ou des Ouigours – qui subissent un véritable ethnocide -, de Hong Kong revenue sous le joug absolu du Parti communiste chinois, ou de Taïwan auquel le régime de Xi Jin Ping veut faire subir le même sort. Il n’est pas question de s’occuper, pour ce qui concerne la Russie, de la Tchétchénie, de la Crimée ou de l’Ukraine, considérées comme propriété exclusive de la dictature poutinienne. Il n’est pas question de soutenir les revendications démocratiques des populations pour ce qui concerne la Biélorussie ou l’Iran !

Or, la réalité c’est qu’on se trouve face à des régimes qui refusent toute liberté d’opinion, toute liberté d’expression et toute liberté de choix démocratique pour leurs peuples respectifs. La réalité, c’est que ce sont les gouvernants qui décident de la guerre, pas les pays et leurs populations. On n’est jamais attaqué par un pays, on est attaqué par un régime qui dirige un pays à un instant donné et qui déclenche la guerre parce qu’il veut montrer sa puissance et imposer sa volonté ou son idéologie. Quelle est la légitimité, pour un pouvoir, de parler au nom d’un pays et de sa population lorsqu’il n’est pas désigné de manière démocratique ?

Bien sûr, des exemples récents ont montré que des interventions externes en vue de faire tomber les gouvernants de régimes totalitaires ont abouti à des résultats négatifs. Il s’en est suivi le retour de la dictature comme en Afghanistan ou l’instabilité, les divisions et le chaos comme en Libye ou en Irak, ce qui amène à examiner avec toute la prudence nécessaire les hypothèses d’intervention extérieure pour des changements de régime.  Mais la démocratie n’aurait jamais été rétablie en Allemagne si les alliés n’avaient pas vaincu par la force le régime nazi. Ce sont les troupes américaines, anglaises et françaises qui ont occupé l’ouest de l’Allemagne et qui ont rétabli un système de liberté et de démocratie dans cette partie du territoire appelée ensuite République fédérale d’Allemagne. Au contraire, dans la partie orientale, occupée par les troupes soviétiques, c ’est une dictature communiste imposée par l’Union soviétique, qui a été mise en place comme sur tous les autres pays de l’Europe de l’Est. Et de même c’est la force américaine qui a établi la démocratie au Japon ou dans la partie sud de la péninsule coréenne alors que la partie nord tombait sous le joug d’une dynastie soi-disant communiste. De la même façon, c’est parce qu’il y a eu une pression externe forte que toutes les fragilités du système soviétique sont apparues au grand jour et que le totalitarisme communiste s’est effondré en URSS. La pression extérieure est donc, le plus souvent, le seul moyen de faire disparaître des régimes totalitaires. On ne négocie pas avec des régimes dictatoriaux, on les combat car sinon ce sont eux qui gagnent.

Bien sûr, les Etats-Nations restent les personnes morales de droit public centrales dans les relations internationales et ce sont eux qui assurent les missions de protection auxquelles sont légitimement attachés leurs citoyens. Bien entendu, il faut tenir compte, dans la relation d’Etat à Etat, de la réalité des systèmes politiques des pays à un instant donné. Mais la ligne directrice doit rester celle du droit des peuples à choisir leur système politique de manière démocratique c’est-à-dire avec une totale liberté d’opinion et d’expression et celle d’une organisation internationale capable de faire valoir l’intérêt général planétaire et les logiques de paix par-delà les seuls égoïsmes nationaux.  Le seul vrai débat de fond c’est l’affrontement entre idéologie libérale universaliste et idéologie totalitaire identitariste.

Face à des régimes qui enferment leurs peuples dans des logiques de propagande et d’hystérie collective belliciste, qui ont pour objectif d’accroitre leur puissance, de dominer les autres et de détruire le système de valeurs libéral, il faut être suffisamment fort pour résister et défendre partout la liberté et la démocratie.

« Face à un empire vous êtes soit vassalisé soit ennemi » ( Général Pierre Schill Chef d’état-major de l’armée de terre ). Cette formule dit parfaitement la seule option qui existe pour la France et pour l’Europe : être suffisamment puissantes pour pouvoir faire pièce aux empires qui veulent nous détruire et défendre ainsi le corpus de valeurs de la démocratie libérale si violemment contesté aujourd’hui.

Jean-François CERVEL

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