Discours d’Olivier Chaline – Grand Prix 2023

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Amiral,

Monsieur le Président,

Mesdames, Messieurs,

Merci, Amiral, pour vos très aimables paroles. Elles m’honorent et me comblent de confusion tout à la fois, d’autant plus que j’apprécie beaucoup Alexandre Dumas. Comment oublier cet épisode jubilatoire où Porthos, retranché dans la cave d’une auberge amiénoise, y soutient un siège en prélevant son tribut de bouteilles et de saucissons ? Un des moments les plus amusants de ma carrière a été le jour où l’abbé d’un grand monastère de Bohême m’a demandé si j’étais gascon comme d’Artagnan. Il arrive que l’on éprouve de la fierté. Disons, Amiral, que vous venez d’énoncer un programme auquel j’adhère bien volontiers. Il reste simplement à le vivre pleinement au quotidien.

Vous avez évoqué Albert Brenet et Smetana. Au peintre de la Marine, je dois l’image formidable des galéasses de Lépante et plus encore celle, profondément poétique, des vaisseaux de M. de Tourville faisant voile dans une lumière pleine de vent. Ils m’accompagnent depuis mes 6 ans, première manifestation de la Marine et de Louis XIV dans mon existence. Les deux flûtes cristallines par lesquelles Smetana exprime le premier cheminement de la Vltava ou Moldau dans la Forêt de Bohême m’ont très tôt ouvert un pays qui n’était pas le mien et me l’ont fait aimer. Et vous pourriez, Amiral, ajouter Rouen, ma ville, à laquelle je dois d’être historien.

Merci infiniment à toutes les personnes, à commencer par mes parents (ici présents) qui m’ont donné accès, dès l’enfance, à toutes ces richesses qui ont fécondé mon imagination et continuent de la nourrir. L’avantage de devenir grand, puis-je dire maintenant, c’est de pouvoir réaliser ce dont on a rêvé enfant.

La mer et la guerre, Rouen et la Normandie, la France d’Ancien Régime, la Bohême et les Habsbourg, sont devenus les horizons de mon travail d’historien, non pas l’un après l’autre, mais chacun tour à tour, sans que j’aie à renoncer à l’un pour venir à l’autre, mais avec la joie des retrouvailles périodiques, comme pour des maisons aimées.

Le jury de la Fondation Brousse dell’Aquila a fait choix cette année d’honorer un universitaire. Je lui en suis vraiment reconnaissant. L’université ne va pas mieux que le pays. C’est pourquoi il est appréciable d’y être encouragé à maintenir le cap. Mon métier a trois dimensions complémentaires. La première est de transmettre des connaissances afin qu’elles ne se perdent pas et ne manquent pas aux jeunes générations. La deuxième est d’ouvrir aux étudiants des horizons inconnus d’eux pour qu’ils y trouvent leur voie. La troisième est de faire avancer la connaissance, en échappant aux diktats ravageurs du conformisme idéologique et institutionnel.

C’est là où je mesure la chance que j’ai de travailler avec des gens qui m’ont ouvert et qui continuent de m’ouvrir à d’autres préoccupations. Vous ne serez pas surpris, Amiral, si je tiens à exprimer tout ce que m’a apporté la collaboration avec la Marine et précisément l’Ecole Navale. Si je travaille aujourd’hui sur l’opérationnel, surtout naval, ou sur l’histoire du commandement, particulièrement à la mer, c’est grâce aux marins. Si j’ai pu apprendre en embarquant, ainsi sur la goélette Belle Poule il y a dix ans, c’est encore grâce à eux. Et l’aventure intellectuelle a pris une nouvelle extension avec l’Institut de l’Océan de l’Alliance Sorbonne Université dont certains membres de l’équipe de direction sont venus ce soir. Leur présence me fait grand plaisir. Je n’ai pas fini d’apprendre et c’est une joie.

La reconnaissance que vous m’accordez s’étend à mes yeux à toutes les personnes, dont certaines sont là ce soir, qui m’ont entouré depuis que je suis professeur et je pense tout particulièrement à mes doctorants, anciens et actuels. Nous sommes dans une chaîne de générations. Les étudiants d’un de mes collègues allemands de Tübingen lui avaient offert son arbre généalogique universitaire avec le directeur de thèse de son directeur de thèse etc. Pour moi, il est vital, dans ces temps de saccage et de « déconstruction », de ne pas laisser le vide derrière soi. Clio n’est pas née avec nous, il ne faut pas qu’elle finisse avec nous. Lorsque je partirai – normalement pas tout de suite – c’est à ceux que j’ai formés, que je transmettrai le flambeau. Mais d’ici-là, il me reste à faire. Merci !

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