L’absence de percée Ukrainienne consécutive à une insuffisance de moyens en partie liée à la lenteur des livraisons de l’OTAN ; s’y ajoute la grave déstabilisation du « régime Poutine », les « adroites » manœuvres diplomatiques chinoises, indiennes et turques et la prochaine ouverture de la campagne présidentielle américaine.
Tout cela a mis en perspective les conclusions du sommet de l’OTAN de Vilnius, qui a dessiné un cadre politique gouvernant les relations de l’Alliance avec l’Ukraine. Si l’Alliance sort renforcée sur son front Nord, son aide mesurée en proportion de ses capacités industrielles et humaines, n’a pas suffi pour casser le front.
Les admissions confirmées de la Finlande et de la Suède dans l’OTAN constituent incontestablement un succès politique. Néanmoins, cela ne suffit pas à masquer les divergences de vues qui existent entre les membres sur les termes de la poursuite de la guerre, la future Paix et ses conséquences espérées.
Immédiatement après la conférence on a vu affleurer les différents degrés de sensibilité des pays et des nations dans et hors l’Alliance.
On ne parlera pas ici de la Hongrie ou de la Bulgarie, ni des ambiguïtés et des oppositions à l’Occident manifestées par le « Sud Global »,
On s’intéressera aux pays qui ont vécu sous la botte russe ou russo-soviétique et qui regardent au-delà de la guerre actuelle.
Ils considèrent qu’elle induit la nécessité de mettre en place, au plus tôt, les instruments juridiques, économiques et militaires qui les protégeront du violent et permanent impérialisme russe qui convoite, menace et hante leurs peuples et territoires sans interruption depuis plusieurs siècles.
On observe qu’une partie des opinions allemandes, françaises et britanniques, par ignorance, habitude, lassitude, inquiétude, frousse ou calcul, glissent vers la recherche d’un compromis russo-ukrainien. Peu importe que la Russie se présente elle-même en adversaire de la civilisation occidentale démocratique, officiellement décrite comme : hypocrite, agressive, dévoyée, immorale, corrompue et décadente.
Plus à l’est, de la Finlande à la Roumanie, au fil de la frontière de l’UE avec la Russie, chacun sait dans sa chair que seule une claire victoire militaire peut asseoir les bases de sa future sécurité. Et, que cette sécurité, qui ne peut être que collective, doit non seulement rétablir les frontières dessinées après le 25 décembre 1991, mais aussi les rectifier. On avance la Carélie, Kaliningrad, la Moldavie, et le Caucase et on cherche des mécanismes de garantie praticables (qui pour cette fois fonctionneraient), pour un nouveau statu quo territorial et militaire.
Depuis peu, cette vision se heurte frontalement à des grandes manœuvres diplomatiques américaines.
Les États Unis sont aujourd’hui aux prises avec toute une série de difficultés. A l’intérieur un fort sentiment populiste xénophobe et isolationniste divise l’opinion. Des flux migratoires impopulaires et incontrôlables ajoutent aux fractures sociales. Des tensions sociétales supplémentaires engendrées par la contre-culture brouillent l’avenir. Enfin la crise politique déclenchée par l’assaut du Capitole n’a pas fini d’éroder le système.
Tout cela mine le contrat social et les institutions démocratiques.
A l’extérieur, sur fond de récentes défaites militaires cuisantes (Irak et Afghanistan), la lutte contre la Chine dans le but de conserver l’hégémonie mondiale fait de l’OTAN un théâtre secondaire, plutôt qu’une forteresse à conserver et défendre.
L’évènement qui commande tout : la prochaine et incertaine élection présidentielle a, déjà semble-t-il, prélevé son tribut.
Un accord vient d’être trouvé à Camp David pour conforter les relations trilatérales avec Séoul et Tokyo. On encourage poliment Taiwan à tenir bon, on interdit les investissements américains en Chine dans les domaines sensibles, sans pour autant déployer un arsenal de restrictions financières et économiques trop douloureuses.
Ainsi, sur le front chinois le peuple américain peut adouber la posture de la Maison Blanche : ferme sans être belliciste. `
Aussi pour préparer des primaires dans la sérénité il faut faire du « damage control » sur le front Ukrainien.
Donc l’équipe Biden, se lance dans la promotion d’une « Paix des braves » autour d’un accord avec les Russes, béni de loin par les Chinois et peut être demain par les Turcs et les Saoudiens.
En très gros, on peut déduire que la transaction Américano-Russe imposerait aux Russes de s’abstenir de dérives nucléaires ; tandis que l’OTAN mesurerait, au trébuchet, son soutien aux opérations militaires ukrainiennes.
On espère qu’on pourra forcer une dynamique d’armistice ou de guerre de très basse intensité. Ce serait le nécessaire prélude à des discussions permettant une partition ultérieure de l’Ukraine. Dans l’idéal, on vise un relâchement de la tension pour le début de la campagne électorale présidentielle américaine. Le pivot se situant entre le début de l’année et le super Tuesday.
Bien entendu, ce « deal » probablement conclu peu après la réunion de Vilnius doit être parachevé par une campagne d’opinion.
En premier lieu on fait donner les seconds couteaux de l’OTAN, qui goûtent la température puis se rétractent. Ensuite, on appelle dans la partie Européenne (y compris britannique) les voix philo-russes en agrégeant ceux qui le sont par vulgaire esprit de lucre et ceux qui appartiennent aux intellectuels romantiques.
Il s’agit, la main sur le cœur, d’avancer des « solutions » qui mèneront à un partage « raisonnable » de l’Ukraine.
En se joignant à cette initiative tordue, la semaine dernière, Nicolas Sarkozy s’est simplement déshonoré.
Le premier point très faible de cette stratégie capitularde qui sera probablement poursuivie ad nauseam, c’est qu’elle minore la tradition impérialiste russe vieille de plus de deux cents ans qui fait que la Russie ne s’est jamais sentie liée par ses engagements internationaux. Tricherie et braconnage font depuis très longtemps partie de l’arsenal politique ordinaire russe, quand ce n’est pas, tout simplement la trahison comme en 1917, 1939, 1956, 1960, 1968, 2014.
Le deuxième point faible réside dans une appréciation profondément erronée de l’état de l’opinion des pays ex-soviétiques qui vivent dans une peur viscérale, longuement expérimentée, de l’impérialisme Russe. Celui qui, comme le disent les Polonais, leur volait leur âme.
Le troisième point faible réside dans l’absence totale de confiance que les pays frontaliers de la Russie et de la Biélorussie accordent à l’Allemagne, la France, l’Italie et le Royaume Uni, dont ils n’ont pas digéré les faiblesses, les échecs et les trahisons du siècle passé ; comme les abandons Géorgiens et Criméens d’hier.
En quatrième lieu, factuellement, pour y croire complètement il faut être bien optimiste quant au talent du Département d’État. Il devrait en effet, faire avaler au Monde que l’agressé est le fautif ; que l’auteur de crimes ne doit pas être puni mais récompensé ; que le violeur de Traités n’est pas nécessairement sanctionné ; que la morale publique internationale peut être bafouée ; et que toute capitulation ukrainienne, n’aurait rien à voir avec l’agenda électoral « Biden ».
Par ailleurs un large consensus supposerait aussi que les Européens oublient que les fidèles et indispensables alliés américains, qui se méfient d’une Europe-puissance -concurrent irritant-, ne s’engagent en défense des valeurs démocratiques que s’ils sont sûrs d’en tirer un bénéfice tangible (1917, 1942, 1992), tout comme il pourrait arriver qu’ils convoquent la vieille Europa à Canossa (1898,1919,1956,2013).
Tout ceci rend chaque jour plus hasardeuse la mise en œuvre de ce « deal », surtout dans ce qui devrait être une mécanique de précision.
Dans une difficulté plus lointaine il sera nécessaire comme déjà tenté en Afrique, au Cambodge ou en ex-Yougoslavie, de convoquer le peuple Russe devant le tribunal de l’Histoire pour y répondre de son soutien au régime criminel du Kremlin.
Alors, aujourd’hui, nous Européens, engageons-nous avec l’OTAN dans un soutien décidé à l’Ukraine, sans arrières pensées, ni stratégies tortueuses.
Nous jouons aussi la sécurité de notre continent.
Laissons le soin aux victimes de l’impérialisme russe, en premier lieu l’Ukraine, de définir avec Finlandais, Baltes, Polonais, Slovaques, Biélorusses, Moldaves et Roumains de proposer les termes de ce qui devra être un Traité fondateur pour la sécurité et l’équilibre stratégique européen.
Pierre Brousse
19 août 2023