L’élection brésilienne vue de Chine

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Emmanuel Véron, Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco)

Alors que l’élection présidentielle brésilienne va bientôt connaître son dénouement, il est utile, pour en comprendre la portée internationale, d’analyser la relation toujours plus étroite que Brasilia entretient avec Pékin.

Depuis 2009, la Chine est, devant les États-Unis, le premier partenaire commercial du Brésil, tandis que ce dernier est le premier partenaire de la Chine en Amérique latine.

Les rapports entre les deux géants, tous deux membres du groupe des BRICS (avec l’Inde, la Russie et l’Afrique du Sud), illustrent parfaitement l’asymétrie des liens entre, d’une part, une Chine à la puissance économique sans cesse croissante depuis trois décennies et, d’autre part, les pays et les sociétés non occidentales, où la RPC investit largement.

Xi Jinping et Jair Bolsonaro se serrent la main

Xi Jinping et Jair Bolsonaro à Brasilia le 13 novembre 2019. Sergio Lima/AFP

Des liens récents mais désormais très étroits

Les relations diplomatiques entre les deux pays sont officialisées en 1974, en pleine guerre froide, au lendemain de l’admission de la Chine à l’ONU et durant la dictature militaire brésilienne.

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Si les relations sont très limitées depuis le XIXe siècle, les années 1980 et 1990 vont changer la donne. L’insertion accélérée de la Chine dans la mondialisation induit une recomposition des liens politiques, commerciaux et diplomatiques. L’ascension progressive des intérêts chinois en Amérique latine s’affirme avec le tournant des années 2000 et l’adhésion de Pékin à l’OMC (2001). Dès lors, la Chine intensifie son emprise sur le continent, longtemps considéré comme le pré carré des États-Unis.

Pékin développe sa stratégie latino-américaine dans un triple objectif : diversifier ses sources d’approvisionnement en ressources naturelles et agricoles ; incarner un leadership non occidental en matière de développement ; et étouffer Taïwan.

En 2008, la Chine publie son Livre Blanc des relations avec l’Amérique latine et les Caraïbes. Le Brésil, plus grand pays d’Amérique latine, et dont les dimensions démographique et géographique peuvent laisser penser qu’il a les moyens d’entretenir une « relation équilibrée » avec la Chine, sera au cœur des ambitions de Pékin dans la région.

Le partenariat bilatéral signé en 1994 a été converti en partenariat stratégique en 2004 et enfin en « partenariat stratégique mondial » en 2012. Dès le milieu des années 2000, la Chine est présente dans tous les secteurs (agriculture, transports, extraction, spatial, finance, etc.) et dépasse en tant que partenaire commercial les historiques grands partenaires du Brésil que sont les États-Unis et les pays européens).

La progression est d’une rapidité impressionnante et se concrétise sous les mandatures de gauche au Brésil (Lula puis Rousseff). En 2000, la Chine représente 2 % des exportations du Brésil. En 2020, ce ratio est passé à 33 %, pour un volume total de 68 milliards de dollars. Idem pour les importations brésiliennes en provenance de Chine : 2 % du total en 2000 et plus de 21 % en 2020, devant les États-Unis (17 %) et l’UE (19 %). Globalement, entre 2000 et 2020, le volume des échanges de marchandises passe de 12 milliards à plus de 137 milliards de dollars.

D’un côté, les exportations brésiliennes sont très largement dominées par des ressources naturelles et agricoles (à faible valeur ajoutée) : l’agrobusiness représente près de 40 % (soja à 35 %, viandes, etc.), les autres produits exportés se répartissent entre les minerais (25 %) et le pétrole (17 %). De l’autre, les importations brésiliennes en provenance de Chine sont très concentrées sur des produits manufacturés à plus forte valeur ajoutée.

L’« effet Chine » au Brésil

Les observateurs et analystes des relations sino-brésiliennes ont rapidement mis en évidence un « effet Chine » (efeito China) au Brésil.

Plus d’une quinzaine de consortiums d’État chinois (Sinopec, ChemChina, BYD, CNOOC, COFCO, CGN, etc.) ont investi dans la plupart des régions brésiliennes, les quelques exceptions étant les zones d’Amazonas, Acre, Rondônia ou Pernambouc. Ces investissements se sont accélérés sous la mandature de Michel Temer (2016-2018), sans pour autant que le Brésil, contrairement à son voisin argentin, ne signe de mémorandum dans le cadre du projet Belt and Road Initiative. Lors du mandat de Jair Bolsonaro, qui démarre en 2018, les relations vont se poursuivre, notamment dans le domaine de l’exportation des matières premières, et ce, malgré la pandémie qui suscite quelques tensions entre les deux pays.

Les investissements concernent surtout l’énergie (pétrole, hydroélectricité, électricité), mais aussi les infrastructures de transports ou des ports. Deux groupes chinois jouent un rôle particulièrement prégnant dans ces investissements : State Grid, pour l’électricité et les réseaux (50 % des actifs au Brésil), articulée à China Telecom et China Mobile ; et Three Gorges pour les barrages (60 % des actifs au Brésil).

Les banques chinoises (China Development Bank, Bank of China, EximBank, ICBC) octroient des prêts colossaux (plus de 30 milliards de dollars comptabilisés en 2020) au secteur pétrolier brésilien (compagnie Petrobras) suite à la découverte de gisements offshore. Très vite, les opérateurs chinois vont s’associer à Petrobras dans l’exploration et l’exploitation, ainsi que dans le soutien à la livraison d’infrastructures pétrolières.

Selon plusieurs études, confirmées par les industriels brésiliens, la rapidité des échanges et l’augmentation des importations chinoises du Brésil ont renforcé la désindustrialisation du pays. À titre d’exemple, les exportations de produits manufacturés du Brésil ont diminué de moitié entre 2005 et 2021. On assiste à une « re-primarisation » de l’économie du géant latino-américain, sur fond de forte dépendance à l’exportation de quelques produits agricoles et miniers.

Si en 2004 la création de la Commission sino-brésilienne de Concertation et Coopération (COSBAN) a contribué à l’intensification du partenariat économique, les relations se sont élargies, depuis l’émergence des BRICS à la fin des années 2000, à de nombreux autres domaines, notamment les médias, le militaire ou encore le spatial.

L’influence de Pékin s’est structurée et diversifiée. On compte un peu plus d’une dizaine d’Instituts Confucius (dont le premier à l’Université de Sao Paulo) dispersés sur l’ensemble du territoire brésilien. La promotion de l’apprentissage du mandarin et l’intensification de réseaux divers (régions, chambre de commerce, partis politiques, etc.), jusqu’au lobbying pour la promotion des échanges entre les deux pays et d’une image attractive et bonifiée de la Chine, ont marqué les deux dernières décennies. Ainsi, la diaspora chinoise au Brésil s’est accrue, surtout dans les grandes métropoles et dans les villes portuaires, tandis que des Brésiliens se sont installés en Chine, dont bon nombre sont cependant partis avec la pandémie de Covid-19.

Spectacle lumineux de drones à Sao Paulo, au Brésil, le 4 février 2022, pour célébrer le Nouvel An lunaire chinois, l’année du Tigre, et l’amitié entre le Brésil et la Chine. Nelson Almeida/AFP

Enfin, dans sa stratégie internationale, le groupe Huawei a su diversifier ses activités et intensifier sa présence au Brésil dans divers domaines : câbles sous-marins, équipements et infrastructures, ventes d’appareils jusqu’à la fourniture de la 5G, ce qui a provoqué des pressions américaines… Rappelons que les Brésiliens sont, derrière les Chinois, les seconds utilisateurs de l’application TikTok, qui suscite de nombreuses questions en matière de protection des données.

L’avenir d’une relation déséquilibrée

Le ralentissement économique chinois, le rôle et l’avenir des BRICS, notamment dans un contexte marqué par la guerre en Ukraine et les vulnérabilités (environnementales, économiques et sociales) du Brésil sont autant de défis pour le prochain mandat qui commencera à partir de janvier 2023.

Les observateurs sont divisés sur l’identité du candidat préféré par Pékin.

Les déclarations incendiaires de Bolsonaro à l’égard de la RPC (accusations de pillage des ressources et d’emplois, puis critiques en lien avec la pandémie) n’ont pas remis en question la re-primarisation de l’économie du Brésil, et divers acteurs économiques et politiques dans les régions, notamment au Nordeste, restent fortement dépendants à l’égard de la Chine.

Demeure la question du poids diplomatique et des ambitions du Brésil en matière de politique étrangère (accession à l’OCDE par exemple, ou politique africaine, lien avec l’Europe et les États-Unis, place et rang dans le sous-continent). Durant la campagne, les deux candidats n’ont que très peu évoqué les sujets internationaux, en particulier les liens avec la Chine. Mais chacun a conscience des interdépendances et des fragilités de la reprimarisation. D’un côté, Lula souhaiterait exercer une diplomatie proactive au sein des BRICS et travailler plus étroitement avec les pays émergents, de l’autre Bolsonaro sait qu’il peut compter sur l’électorat de l’agrobusiness brésilien, favorable à la Chine.

L’issue du second tour des élections le 30 octobre prochain ne devrait pas changer en profondeur la forte dépendance et l’asymétrie de la relation bilatérale. La prochaine présidence brésilienne, quelle qu’elle soit, devra nécessairement composer avec l’influence désormais majeure que la Chine exerce sur le Brésil.

Emmanuel Véron, Enseignant-chercheur – Ecole navale, Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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