Recension – DANS LE MIROIR DE MAGELLAN

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DANS LE MIROIR DE MAGELLAN

Le rétrécissement du monde

Ouvrage collectif de la Fondation Pacifique publié aux Editions Slatkine à Genève.

Mention spéciale du jury du prix Éric Tabarly 2020 attribué par l’association des anciens élèves de l’Ecole navale[1].

Dans la nuit du 12 au 13 avril 2015, un coup de corne de brume. Fleur de Passion, voilier de 33 mètres battant pavillon suisse, largue les amarres depuis el muelle de las Delicias (le quai des délices) du port de Séville. Commence alors The Ocean Mapping Expedition, tour du monde à la voile dans le sillage de Magellan, organisé par la Fondation Pacifique.

Pendant ce périple de 1604 jours, achevé le 4 septembre 2019 à Séville, une cartographie de certains impacts de l’homme sur les océans sera réalisée, 42 000 milles seront parcourus, le bateau fera escale dans 28 pays. A bord, se succéderont marins aguerris, jeunes à l’avenir incertain et leurs éducateurs, scientifiques, artistes et, parfois, quelques passagers.

Car il ne s’agit pas simplement de naviguer à la voile autour du monde. Comme le souligne la Fondation Pacifique, le voyage mêle navigation, « science, éducation et culture. » Tout au long de l’expédition sont effectués, aux fins d’analyse, des prélèvements d’eau et d’air ainsi que des enregistrements des bruits dans les océans.

Des visites du bateau et des conférences sur les questions d’environnement sont organisées lors des escales et connaissent un grand succès.

Enfin, dans la tradition des peintres de marine, des artistes sont en résidence à bord pour dessiner, peindre…

Dans le miroir de Magellan, livre collectif qui nous restitue ce périple, a été réalisé à partir des notes de bord, des écrits des uns et des autres et des œuvres des artistes.

Composé d’une série de textes courts, le livre évoque les événements marquants de l’expédition, parfois la vie quotidienne. L’écriture est vigoureuse, simple et limpide, à l’image de la vie sur un bateau. Le lecteur se sent immédiatement concerné par les enjeux de l’expédition, les problèmes rencontrés, et partage les sentiments éprouvés, les émerveillements comme les inquiétudes. Chaque texte est à lui seul une petite nouvelle dont la concision renforce la puissance évocatrice. Les illustrations variées, très belles et toujours bienvenues, entrent en résonnance avec les textes et immortalisent aussi l’expédition.

Les difficultés ont été nombreuses : un moteur qu’il faut changer en urgence, des voiles neuves qui n’arrivent pas avant le départ, puis des voiles déchirées et autres avaries et problèmes techniques. Le lecteur vit avec l’équipage les inquiétudes et les incertitudes liées à une navigation souvent périlleuse en raison de cartes parfois imprécises, des tempêtes, du froid, des blocs de glace ou des billes de bois qui flottent à la surface de l’eau, de rails de circulation aux nombreux tankers. Et aussi un drame, avant le départ et un autre qui aurait pu advenir.

Les résultats des analyses se révéleront inquiétants tant sont importantes la pollution des plastiques dans l’eau et la pollution sonore qui nuisent à la vie de nombreuses espèces. « La grande barrière de corail se meurt sous nos yeux » déplorent attristés les scientifiques australiens ayant participé à la cartographie complète d’une partie de cette merveille inscrite au patrimoine mondial de l’humanité.

Pour les jeunes mousses, confrontés à la coupure avec leur univers habituel, au confinement à bord, à la nécessité de respecter les règles et les autres, aux conditions parfois extrêmes de navigation et de météo, l’expérience se révèle très difficile.

Quelques-uns perturbent trop le fonctionnement, le travail à bord et la discipline. Ils sont rapatriés en Suisse avant le terme prévu. Mais ils sont nombreux à tenir bon. Comme certains l’ont écrit dans des textes émouvants, souvent d’une grande lucidité, ces expériences les auront révélés à eux-mêmes :

 « Ce qui m’a le moins plu, c’est le premier mois :

les autres, la vie tous ensemble à bord.

Ce qui m’a le plus plu, c’est le deuxième mois :

les autres, les échanges.  Kilian »

Dans le miroir de Magellan laisse une large place au partage de la richesse des rencontres. Alaide, par exemple, et l’énorme churrasquerria qu’elle a préparée à Ilha Grande au Brésil, ou encore ces ex-enfants des rues du foyer de Ruca, près de Buenos Aires, pour lesquels l’embarquement et la navigation resteront un souvenir fondateur. Cet instant magique aussi, quand l’équipage, après une nuit d’attente infructueuse, voit apparaître au petit matin des baleines tournoyant avec leurs petits dans la baie de Puerto Madryn. Une émotion inoubliable.

On sourit aussi, avec ce texte du mousse Aiman :

 «… Il n’y a pas que la navigation qui est sympa, le fait de faire des activités en groupe est cool aussi, même la vaisselle est amusante à faire.»

Ce très beau livre nous invite, comme son titre le suggère, à un « jeu de miroir entre passé et présent, présent et avenir. » Que sont devenus les océans sillonnés par Magellan et dans quel état les laisserons-nous aux générations futures ? Que faisons-nous pour ouvrir le monde, comme l’ont fait les explorateurs d’antan ? Que transmettons-nous à nos enfants pour qu’ils puissent vivre en paix avec eux-mêmes, avec les autres et protéger la nature ? Saurons-nous ne pas rétrécir le monde dangereusement ?

Elisabeth Linden


1[1] https://fondationpacifique.org/dans-les-coulisses-du-prix-eric-tabarly-2020/

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