Le format 17+1, un outil au service de la politique européenne de Pékin défiant l’UE ?

Emmanuel Veron

Forum initié par Pékin pour étendre son influence économique et politique en Europe en dehors du cadre institutionnel et formel de l’Union européenne (UE), le format 17+ 1 ne cesse de prendre de l’ampleur et défie l’UE. L’année 2020 selon les mots du ministre des affaires étrangères Chinois, Wang Yi est à un « nouveau point de départ historique ».

Le format a été lancé en 2012 à la fin du règne du tandem Hu Jintao – Wen Jiaobao, où ce dernier, Premier ministre, lors d’une visite à Varsovie pour le Forum des affaires Chine-Europe centrale et orientale posa officiellement la première pierre de cet édifice économique et politique. Issu d’un travail diplomatico-économique patient de la Chine depuis la fin de la guerre froide avec la plupart des pays d’Europe centrale et de l’est, le forum regroupe la Chine et 16 pays : Estonie, Lettonie, Lituanie, Pologne, République Tchèque, Slovaquie, Hongrie, Roumanie, Bulgarie, Slovénie, Croatie, Serbie, Bosnie-Herzégovine, Monténégro, Albanie et Macédoine (1). A partir de cette date, le format donnera le cadre des relations entre la Chine et les pays d’Europe centrale et orientale et qui connaitront jusqu’à aujourd’hui une intensité sans précédent. En avril 2019, lors du sommet annuel de l’organisation à Dubrovnik, cette coopération entre Pékin et les 16 pays d’Europe centrale et orientale s’est transformée en format 17 + 1 avec l’adhésion de la Grèce, pays stratégiquement important dans la politique européenne de la Chine. Ainsi, le forum comprend 12 états membres de l’UE et cinq non-membres, ceci accroissant l’influence de la Chine au sein de l’UE. Dans le cadre de sa stratégie européenne et de promotion de sa méthodologie du multilatéralisme, Pékin voit dans ce format un atout pour asseoir son influence à travers le projet Belt and Road Initiative (BRI). Doté de structures permanentes réparties sur l’ensemble des états membres, le format concerne la totalité des domaines « classiques » de coopération des initiatives chinoises : culturelle, agriculture et foresterie, finance, diplomatique, bancaire, énergétique, etc. (2).

Le format 17 + 1 est un pilier essentiel du développement de divers projets d’infrastructures et de MOU dans cette partie de l’Europe afin de mieux l’arrimer à la géoéconomie chinoise. Dans ce sens, le cas de la Grèce est éloquent (3). Membre de l’UE en récession durable, la Grèce, son paysage politique et ses infrastructures sont depuis plus d’une décennie dans les priorités stratégiques de la Chine. La situation du port du Pirée opéré en partie par le groupe COSCO, le développement d’infrastructures de transport et la proximité entre le premier ministre grec et les autorités chinoises, la mise en place du système « golden visa » sont autant de marqueurs d’une relation bilatérale accélérée au sein d’un espace multilatéral (4). Le cas de la Pologne, de la Lettonie et de la Hongrie illustre parfaitement les enjeux politique et économique en cours : plateforme logistique, désunion au sein de l’UE, développement d’infrastructures et réseau 5G, réseau énergétique (notamment par le groupe chinois State Grid), etc. En outre, la quasi-totalité des membres européens de ce format sont membres de l’OTAN. Ceci représente une couche supplémentaire d’incertitudes stratégiques notamment en matière de renseignement, d’adhésion politique et de livraison de matériel militaire en provenance de Chine populaire.

Alors que le prochain sommet annuel aura lieu en avril à Pékin et sera présidé pour la première fois par Xi Jinping, la cohérence d’ensemble en interne semble confrontée à des difficultés multiples (5). Si la stratégie chinoise de soumettre les états de la zone par la dette est évidente, plusieurs pays montrent les limites du format. A travers le format 17 + 1, les membres européens cherchent à développer leur relation bilatérale, en particulier commerciale, mais une succession de déconvenues interroge la structure d’ensemble : déficit important dans les échanges bilatéraux, manque d’investissement, problématique douanière, manque d’ouverture du marché chinois etc. (6).

La tâche est très importante pour l’UE. Il est plus que nécessaire de s’y atteler et moderniser les outils de gouvernance face à ces rapports de force interne à l’Union pour la décennie à venir.

A nous de suivre avec précision et beaucoup de sérieux l’agenda diplomatique de la Chine en Europe pour 2020.

Emmanuel Véron

Ce billet est issu d’une première publication dans les brèves de la revue Le Grand Continent du Groupe d’Etudes Géopolitiques (GEG) disponible sur le site de la revue : https://legrandcontinent.eu/fr/2020/01/07/171-un-outil-au-service-de-politique-exterieure-europeenne-de-pekin-defie-lue/

Sources :

(1)Richard Dorota, 2016, La nouvelle coopération entre la Chine et les pays d’Europe centrale et orientale, Note d’actualité n°9/16 de l’Observatoire de la Chine, Asia Centre – DGRIS, cycle 2016-2017.

(2)Budeanu Andreea, 2018, The “16+1” platform China’s opportunities for central and eastern Europe, Asia Focus, IRIS.

(3)https://legrandcontinent.eu/fr/2019/04/28/du-161-au-171-la-grece-intensifie-sa-cooperation-avec-la-chine-dans-le-cadre-des-nouvelles-routes-de-la-soie/

(4)https://www.lefigaro.fr/conjoncture/2019/03/19/20002-20190319ARTFIG00138-groupe-161-la-strategie-chinoise-pour-peser-sur-l-economie-europeenne.php

(5)https://www.scmp.com/news/china/diplomacy/article/3044359/chinese-president-xi-jinping-take-over-host-171-summit

(6)https://www.asie21.com/2017/03/12/format-16-1-les-pays-de-leurope-centrale-et-orientale-et-la-chine-le-format/

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