Le fentanyl, l’autre facette des tensions entre la Chine et les Etats-Unis

Emmanuel Veron

 « History Does Not Repeat Itself, But It Rhymes »

« L’histoire ne se répète pas, elle rime ».

Mark Twain (1835-1910)

Avec plus de 120 000 morts par overdose de fentanyl en 2023, pour les seuls Etats-Unis, la crise sanitaire et sécuritaire s’étend à l’ensemble de l’Amérique du nord. Sujet régulièrement à l’agenda et vecteur de relations tendues et compliquées entre les puissances américaine et chinoise[u1] , le fentanyl, initialement un médicament, par son usage détourné comme drogue s’impose comme un miroir de ce qu’a été l’opium en Chine de la fin du XIXe siècle à la première moitié du XXe siècle. Entre rivalités géopolitiques sino-américaines, mondialisation et crime organisé transnational (mafias/triades), le fentanyl s’impose depuis plusieurs années comme un point clef de tensions entre Pékin et Washington. Cet article propose une analyse succincte de la structuration d’un trafic transnational entre les mains des mafias chinoises et mexicaines affaiblissant la démographie et défiant l’Etat fédéral américain.

Qu’est-ce que le fentanyl ?

Le fentanyl utilisé en médecine est un analgésique opioïde (qui est un dérivé de la phénylpipéridine) qui interfère avec les récepteurs morphiniques µ du cerveau (ainsi qu’avec la moelle épinière et les muscles lisses – du système digestif). Il présente également un effet thérapeutique sédatif. Le fentanyl est extrêmement puissant. Son effet analgésique est rapide et de courte durée ; il est 100 fois plus puissant que la morphine, 50 fois plus puissant que l’héroïne.

Synthétisé la première fois par le docteur belge, le Baron Paul Janssen à la fin des années 1950, le fentanyl voit son usage depuis très réglementé, car il s’agit d’une substance assimilée à un stupéfiant. Son détournement et l’accroissement du marché noir provoquent ce qui est aujourd’hui admis comme la « crise des opioïdes » américaines depuis le milieu des années 2010 aux Etats-Unis et au Canada. Jusqu’alors quasi inconnu du grand public, depuis une décennie, le fentanyl est devenu un stupéfiant généralisé en Amérique du nord, provoquant une crise sanitaire et sécuritaire majeure depuis la crise des opioïdes à l’héroïne (et autres stupéfiants) des années 1970 et 1980. Plusieurs célébrités ont d’ailleurs perdue la vie suite à des overdoses au fentanyl et/ou avec un autre stupéfiant – à l’instar du « speed ball » mélange de fentanyl, de cocaïne et d’héroïne (les chanteurs Prince, Coolio, et d’autres rappeurs… ou encore le skateur professionnel Jeff Grosso). La prise de fentanyl induit une dépression de la respiration d’une part, une rigidité des muscles respiratoires et du larynx d’autre part, extrêmement rapidement, pouvant entrainer la mort selon le dosage.

Alors qu’un médicament antidouleur (antalgique, un opioïde également) puissant, l’OxyContin (ou Oxycodone) est largement répandu aux Etats-Unis (sa prescription est généralisée), la dépendance d’une partie de la population à ces dérivés morphiniques induit en parallèle la recherche de substitut puissant. Corrélée à une détresse sociale et des dépendances de polytoxicomanies, la consommation du fentanyl explose depuis une décennie. Les grandes métropoles d’Amérique du nord voient, selon certains médias, des quartiers devenir des désastres humains et sanitaires.

Facile à fabriquer et très lucratif, le fentanyl est devenu en quelques années le produit privilégié aux côtés de la cocaïne par les narcotrafiquants mexicains à destination du marché nord-américain[1]. Ces derniers maîtrisent la géographie des flux, depuis la production (mondialisée) à la vente du produit, au sein de la société canadienne, étatsunienne et mexicaine, s’associant à divers acteurs du crime organisé transnational sur les cinq continents.  

Face à ce fléau, existe-t-il des solutions ? En plus du médicament Naloxone qui neutralise le toxique des récepteurs, un anticorps contre le fentanyl (à ce stade testé chez les rongeurs et débuts des essais cliniques) permet d’obtenir une protection. Mais cette dernière doit être attribuée régulièrement et au bon moment selon le degré de toxicomanie et se montrerait insuffisante selon les prises de drogues.

Facteur majeur de la rivalité sino-américaine

Il est désormais admis que Pékin est aujourd’hui la priorité stratégique de Washington, et réciproquement. La rivalité stratégique sino-américaine contribue largement aux grandes structurations de l’espace mondial. Les tensions structurelles sont présentes dans tous les domaines (économique, militaire, technologique et diplomatique). Aussi, la relation bilatérale n’a jamais été aussi mauvaise depuis la guerre froide. En plus des questions stratégico-militaires, des technologies et du commerce, de Taiwan, de la péninsule coréenne ou des droits de l’homme, le fentanyl s’est imposé en dix ans comme la pointe de diamant de la définition de la relation bilatérale : interdépendance et compétition. L’administration américaine déjà du temps de la présidence de Donald Trump (janvier 2017- janvier 2021) a initié des discussions avec les autorités chinoises….

[…] Retrouvez l’intégralité de l’article dans la revue Diplomatie –


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